Sur toutes les latitudes de la planète, on trouve des populations asines – âne ou hybride comme le mulet, dont l’âne est le père –, économiques, très résistantes et adaptées aux conditions locales. Compagnon essentiel des pays pauvres comme en témoigne encore aujourd’hui sa présence au Soudan et en Éthiopie, sa frugalité fut le pivot essentiel de l’émancipation de nos économies rurales. Si, pour subvenir aux besoins des conquêtes napoléoniennes et structurer la production de puissantes mules, la qualité des baudets du Poitou est réglementée depuis plus d’un siècle et demi, c’est seulement dans les années 1990, sous l’impulsion des Haras nationaux que six autres races s’établissent comme telles et sont alors officiellement reconnues par le ministère de l’Agriculture. L’âne Normand et son cousin du Cotentin sont donc la réponse institutionnalisée des anciennes filières séculaires des populations d’ânes communs de Normandie.
L’Association des éleveurs de l’âne Normand référence environ 650 animaux adultes mâles et femelles qui produisent une centaine d’ânons chaque année, comme cette petite espiègle de Triolette*. Par opposition aux ânes communs, l’apport du soutien technique des Haras nationaux permet de conserver des animaux en état de service, avec de réelles qualités morphologiques, seules garantes du confort au travail des animaux. Néanmoins comme le démontre à merveille Armelle Ménager, éleveuse dans l’Orne, l’âne comme son lointain cousin la chèvre, possède intrinsèquement de multiples atouts dans la gestion quotidienne de son exploitation. Dans l’accueil des enfants en difficulté, il est un médiateur très sensible aux handicaps de la vie. Chez Armelle, à Courgeout, les ânes sont utilisés dans la rotation des cultures, en parallèle à ses 140 brebis reproductrices de races Roussines. Le système digestif de l’âne, très rustique, lui permet d’une part de réduire la pousse des ronces et des chardons, ainsi que d’ingérer et de détruire une partie des douves, parasites si dommageables à la croissance des agneaux. Ici, il est l’auxiliaire indispensable de la conduite de l’exploitation en agrobiologie. Entre vaches, moutons, chèvres et ânes, on devine, au sein d’un environnement préservé, l’interdépendance qui régissait autrefois les espèces animales et végétales entre elles et dont l’homme savait tirer profit.
* La triolette était le nom donné à l’équipage composé de la fermière, de son âne, et du bât qu’il portait afin d’y installer de part et d’autre deux godaines chargées de contenir le lait des vaches traites.