Domestication
Même s’il est agréable de regarder les animaux brouter ou galoper dans les prairies ce n’est pas une fin en soi ! Équins, bovins, porcins, asins, canins ou félins sont de grandes espèces ou sous-espèces du règne animal que nous avons asservies et façonnées selon nos besoins : les chevaux pour le transport et la traction, les vaches pour le lait mais aussi, comme les bœufs, pour le travail et la viande, les moutons pour la laine et le fumage des terres*, les cochons pour la viande et leur gras si essentiel pendant l’hiver, les chiens pour le gardiennage des troupeaux et même les chats pour protéger les récoltes de la vermine.
Les animaux de terroir ne sont plus des animaux sauvages et pas encore des animaux de compagnie, ce sont des animaux domestiques dont l’élevage et l’évolution relèvent de la science appelée zootechnie. Comme le métal ou le bois que nous avons appris à travailler pour créer des outils, les animaux d’élevage sont eux aussi une catégorie d’outils qui nous permettent à nous, consommateurs, de bénéficier de leurs productions spécifiques. Par nos actes de consommation, nous jouons un rôle essentiel dans l’évolution des races domestiques que les éleveurs, chercheurs et techniciens traduisent dans la sélection des animaux. C’est ainsi que depuis plusieurs années nous recherchons des produits laitiers « light », favorisant ainsi les races productives au détriment de races qualitatives comme la vache Normande. Pour la viande, nos modes culinaires éliminent le gras et les morceaux à mijoter au profit des morceaux à griller qui se concentrent tous sur les arrières des animaux, entraînant une transformation morphologique des animaux par une sélection sur le gène dit « culard ». Cette mutation réduit considérablement la capacité d’une vache à mettre bas sans soutien vétérinaire : les césariennes se généralisent, les coûts augmentent.
Pour le jeune entier qui vous fait face, il y aura deux orientations possibles : soit il deviendra cheval de service pour l’étalonnage ou l’attelage, soit il sera destiné à la consommation hippophagique. La position haute de son genou semble le réserver à la première orientation.
Malgré la difficulté économique du marché de l’élevage, les acteurs locaux du monde agricole sont tous très attachés aux animaux. Envoyer un animal à l’abattoir n’est jamais un plaisir et les éleveurs en particulier préféreraient s’occuper de vingt vaches au milieu des prairies que passer deux heures à traire cent vaches laitières ou nourrir trente mille poulets en batterie ; ils sont pragmatiques, le choix ne leur appartient qu’en partie. C’est grâce à notre seule implication, en pleine conscience, que des techniques durables ou biologiques en accord avec les spécificités locales pourront être développées. Nos choix de consommation sont décisifs pour les modes d’élevage et de transformation, ils le sont aussi pour le partage équitable, le respect et même pour le simple aspect du territoire.
* Le fumage consiste en l’apport de matière organique sous forme d’excrément à la terre pour la fertiliser.