Iconographie, photographie et histoire des animaux domestiques et de leur terroir
Génération désenchantée de n’être pas parvenue à transmettre le savoir-faire de nos parents à nos enfants. Le fil d’Ariane s’est rompu avec nous.
Le fracas de la guerre a bouleversé l’organisation du travail qui soudait la famille. Les hommes étaient partis, avaient pu observer les avancées agricoles dans les régions d’exil ou de bataille. Les femmes s’étaient émancipées. Nos enfants nés à l’aube des années cinquante, ont été les premiers à apprendre le métier d’agriculteur pour ne pas rester paysan. L’évolution des techniques, la découverte de produits phytosanitaires et l’homogénéisation de ces nouveaux savoirs ont révolutionné les campagnes françaises. Fierté de parents qui ont permis à leur éternité de se sortir d’un système que plus personne ne voulait encore subir. A cette époque, les races locales n’étaient pas considérées comme un patrimoine vivant essentiel à la biodiversité, elles étaient une entrave au progrès, une atteinte à la liberté de bénéficier comme tout à chacun de la modernité. Les paysans ne voulaient plus ressembler à l’image renvoyée par les citadins qui venaient et jugeaient l’immense abîme qui séparait ces deux mondes. Des animaux que nos pères avaient élevés, dressés, reproduits grâce à la transmission ancestrale, il ne resta bientôt plus rien que quelques spécimens dans des fermes isolées et « rétrogrades ». Pour que nos fils veuillent bien prendre la suite de la ferme, il a fallu qu’elle devienne une exploitation. Il a fallu acheter un plus puissant tracteur. Agrandir les surfaces en récupérant les terres de ceux qui partaient à la retraite sans successeur. Emprunter pour y parvenir mais encadré par les rassurantes banques et institutions. C’était l’effort à faire pour le progrès, pour que nos fils trouvent des épouses qui veuillent bien vivre à la campagne, pour être enfin « comme tout le monde ».
Désenchantés mais pas abusés. Il nous fallait ce mieux-être qui nous était proposé, il fallait aussi augmenter les productions pour nourrir les nouveaux urbains en appartenant à ce plan marchand global.
Ni regret ni remord de la vie qui s’est construite en s’oubliant. Plus personne ne voulait ressembler avec fierté à son père, qui ne savait d’ailleurs pas comment mener une exploitation agricole moderne.
Pendant vingt-cinq ans, une génération d’agriculteurs a travaillé la terre et élevé des bêtes en tentant d’allier ce qu’elle avait appris de l’agriculture moderne et les spécificités relatives à chaque région. Parfois en malmenant l’espace qui lui avait été seulement « prêté ».
Dans les années quatre-vingt, quand les premières tentatives de sauvegarde de ces animaux qui peuplaient autrefois les fermes ont commencé, ça a été difficile d’être pris au sérieux. La mémoire collective avait finit par intégrer que ces races rustiques n’étaient pas rentables, chacun avait oublier la robustesse et l’adaptabilité des animaux à leur terroir d’origine.
Il aura fallu du courage et de l’abnégation, des amis et des réseaux pour convaincre et se convaincre de la nécessité d’une telle aventure.